jeudi 13 novembre 2014

Jean-Pierre Orban, Prix du Premier Roman

Pendant qu'Aurélien Bellanger recevait le Prix de Flore pour L'aménagement du territoire, Jean-Pierre Orban se voyait couronné par le Prix du Premier Roman pour Vera, sélectionné aussi pour le Prix Rossel. Car il est belge... Je l'avais interrogé sur son livre, quelques semaines avant sa sortie.

Il vient de loin, le premier véritable roman de Jean-Pierre Orban qui avait publié en Belgique, il y a plus de vingt ans, un recueil de nouvelles, Chroniques des fins, et un « micro-roman », Les rois sauvages. Le long silence rompu par Vera ne correspond pas à un abandon de l’écriture. Au contraire. L’écrivain était plongé dans un immense travail, dont la matière l’a en quelque sorte débordé : « Je me suis enfoncé dans une recherche, au départ sur la rencontre entre Stanley et Livingstone, qui devait aboutir à un projet romanesque assez ambitieux, devenu monstrueux. J’ai remis en question mon rapport avec le roman, j’ai lu des théories sur le sujet. A cette époque, je vivais à Londres, j’avais à peu près coupé les liens avec la Belgique et je me suis trouvé noyé par ce projet. Puis je me suis relancé dans l’édition, ce qui m’a donné l’impression de reprendre pied dans le monde réel. J’étais trop dans l’écriture. Ensuite sont venues des nouvelles, du théâtre. Et Vera est née… »
On semble très loin de la rencontre entre Stanley et Livingstone. C’est pourtant de là, par un cheminement complexe, que vient cette Italienne de Londres, où ses parents sont installés à la manière de compatriotes partis chercher du travail ailleurs – en Belgique, pour d’autres. Elle a 11 ans en 1933, grandit en observant, fascinée, le pouvoir croissant de Mussolini dans son pays d’origine, trouve en Nunzia Chiegi une missionnaire répandant dans Little Italy, quartier peuplé d’Italiens, la bonne parole fasciste. Vera participe à un voyage organisé afin que la jeunesse, fer de lance du rayonnement italien à l’étranger, admire les réalisations du Duce – qu’elle rencontre au cours d’une cérémonie.
La guerre changera tout pour Vera : elle perd son père, arrêté comme ennemi potentiel et mort dans un naufrage au cours de son transfert vers l’île de Man. Elle perd aussi la foi dans la valeur symbolique d’une Italie conquérante, pour être séduite par la langue française et quelques Français, dont l’un sera probablement le père de son fils.
D’un épais manuscrit où se croisaient des histoires multiples, à des époques diverses, Jean-Pierre Orban a envisagé de faire plusieurs ouvrages : « J’ai divisé l’ensemble en une série de romans dont chacun porterait le nom d’un personnage. Et cet ensemble, qui s’appelle dans mon esprit Toutes les îles et l’océan, reste le projet final. Vera n’était pas le personnage le moins important de l’histoire, mais c’était celui sur lequel j’avais le moins écrit. J’avais en tête la trame de son histoire, j’avais quelques pages sur elle, surtout le début. Elle est devenue un personnage et une histoire en elle-même, jusqu’à engendrer un texte qui était d’ailleurs, en volume, le double de celui-ci. Il y avait une partie africaine, qui viendra plus tard. »
Dès le début du roman est posée une question qui traverse tout le livre : celle de la langue. Winston Churchill, à propos des Italiens installés en Grande-Bretagne, donne un ordre : Collar the lot – attrapez-les tous. L’aurait-il donné de la même manière en italien ? S’il avait dit : Acciuffateli tutti, le père de Vera aurait-il fini par le fond ? Le romancier y voit un point fondamental : « Ce qui sauve Vera, c’est la langue. Je crois que la langue est un pays, la seule terre ferme possible et la seule identité dont on peut difficilement se détacher. Je suis très intéressé par les passages d’une langue à une autre, comme chez Kundera ou Beckett, et je me demande quel est leur rapport intime avec la langue d’origine. On ne dit pas la même chose dans des langues différentes. »
L’ampleur du projet littéraire dont est issue Vera donne à celle-ci une épaisseur peu commune. On la devine traversée de thèmes qui seront développés ailleurs, plus tard. Un peu de patience, donc.

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