jeudi 31 mars 2016

Imre Kertész ne voulait pas du Nobel

Encore un contemporain capital disparu, Imre Kertész, qui faisait le lien entre Auschwitz et notre temps. Je ne l'ai pas lu en continu, mais j'avais été frappé, il y a un peu plus de trois ans, par Sauvegarde.
Les années 2001 à 2003, pendant lesquelles Imre Kertész écrit Sauvegarde sous la forme d’un journal, représentent, à plusieurs titres, un tournant essentiel dans son existence.
Commençons par le prix Nobel, même si ce n’est pas le fait le plus marquant. Le 11 octobre 2001 : « On m’a embêté toute la matinée avec le prix Nobel que j’allais recevoir. » Naipaul est couronné, l’écrivain hongrois est soulagé. « J’écris sur Auschwitz ; si j’ai été déporté, ce n’était pas pour recevoir le prix Nobel, mais pour être tué ; tout ce qui m’est arrivé d’autre relève de l’anecdote. Que je n’aie pas eu le prix Nobel est aussi absurde que si je l’avais eu. » Un an plus tard : « La menace du prix Nobel pèse à nouveau. » Cette fois, c’est pour lui. Il le vit comme s’il était un autre, accablé, fatigué par la folie qui « tourbillonne » autour de lui et, en même temps, empli d’une profonde satisfaction : « L’Académie a voté pour des valeurs fragiles, et l’affection unanime avec laquelle cette décision a été accueillie est surprenante. »
D’autres facteurs interviennent dans cette période. Devenu incapable d’utiliser sa main droite pour écrire, Imre Kertész utilise pour la première fois un ordinateur et se demande en quoi cela change son approche du texte. Sa femme est plus gravement malade que lui et il en parle souvent. Il voit aussi, en Hongrie et même en Europe, renaître des signes d’un antisémitisme qui forcément l’inquiète, lui dont toute l’œuvre est habitée par l’expérience fondamentale qu’il fit quand il avait quinze ans – déporté à Auschwitz puis à Buchenwald – et qui continue à s’interroger sans cesse sur cette forme de mal absolu. Jusqu’à, pendant cette période, entreprendre de quitter son pays pour s’installer à Berlin.
C’est d’ailleurs à l’Académie des Arts de Berlin qu’Imre Kertész vient de confier ses archives littéraires, « geste de confiance et de réconciliation », ont commenté les autorités allemandes. Geste fort, en tout cas, de la part d’un Juif hongrois qui a survécu aux camps de la mort. A plus de 80 ans, il est de ces écrivains qui font le bilan au moment où la production littéraire s’achève. Ses précédents livres parus en français étaient, en 2010, un autre volume de journal (Journal de galère) couvrant les années 1961 à 1991 et, en 2008, une autobiographie construite à partir de dialogues (Dossier K.).
Liquidation, qu’il écrivait en même temps que Sauvegarde, restera donc probablement son dernier roman. Sur lequel tout ce qu’il dit ici nous montre l’artiste au travail.

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